Formation professionnelle en prison : la Nouvelle-Aquitaine serait-elle la meilleure élève de tout l’Hexagone ? Les chiffres plaident en faveur de la Région où 25% de ses détenus sont formés contre 15% sur le territoire national. Pourtant, cet outil efficace contre la récidive et pour l’insertion dans la société reste insuffisant, voire inaccessible pour certains.
Abel entre dans le box. Regard hagard, il s’assied sur une chaise… trop tôt. Le président de la juridiction lui demande de se relever pour vérifier son identité. Le prévenu avait déjà été condamné pour des faits de braquage. Il sort de deux ans de prison. Mais cette fois, c’est pour avoir frappé son épouse qu’il se retrouve au tribunal.
Comme Abel, plus de 41% des personnes condamnées à de la prison ferme en correctionnelle récidivent. Plusieurs pistes ont été étudiées pour diminuer ce taux de récidive. En particulier, en misant sur la formation professionnelle.
« On ne peut pas penser la question de la réinsertion sans proposer de formation »
Une analyse éloquente de la Rand Corporation en 2013 portant sur des prisons américaines démontre bien l’efficacité des actions de formation en milieu carcérale. Celles-ci diminuent en effet de 43% la probabilité de revenir derrière les barreaux, comme le note l’Institut Montaigne dans un rapport de février 2018.
Pour Farid, condamné pour braquage dans les années 1980, « on ne peut pas penser la question de la réinsertion sans proposer de formation ». Récidiviste, il s’est aujourd’hui « rangé » selon ses propres mots et « vend des poulets rôtis sur les marchés de Bordeaux ».
« Si vous n’avez pas de toit ni de travail, vous êtes SDF à votre sortie de la prison, confirme Christophe de la Condamine, ancien détenu et également auteur de l’ouvrage Journal de taule, condamné lui aussi pour braquage. Donc vous appelez le copain qui est sorti trois mois auparavant et c’est reparti ».
Une minorité de détenus concernés dans les faits
Sur le plan des principes, tout détenu est astreint à une obligation d’activité. Ces activités concernent aussi bien le travail que la formation professionnelle en prison ou encore l’enseignement. Toutefois dans la pratique, les choses diffèrent sensiblement. En raison d’une part de la surpopulation carcérale et, d’autre part, de budgets qui ne sont pas à la hauteur des ambitions affichées, la formation professionnelle ne concerne qu’une minorité de détenus.
Ainsi, en Nouvelle-Aquitaine, même si la Région fait office de bonne élève, seules 24,6% des personnes incarcérées avaient pu bénéficier d’une telle formation. Pour l’année 2020, ce pourcentage tombe même à 15,4%.
L’offre de formation est très variable d’un établissement à l’autre. Pour avoir un ordre d’idée, on peut y retrouver aussi bien des formations en menuiserie (à Rochefort) qu’en agriculture (à Mauzac) ou encore en restauration rapide (à Neuvic).
Une formation difficile d’accès
Accéder aux formations professionnelles des centres pénitentiaires relève d’un vrai parcours du combattant. Un rapport du Contrôleur général des lieux de privation de liberté (CGLPL) atteste que les détenus doivent passer plusieurs étapes avant d’accéder aux formations professionnelles.
Une sélection difficile, voire élitiste pour pléthore de détenus. À Saintes en 2013, l’administration indépendante française soulignait que les détenus devaient d’abord adresser une lettre de candidature au chef de l’établissement motivée par un C.V. Un exercice professionnalisant mais qui s’avère juste impossible pour certains. Les chiffres du Ministère de la Justice de 2018 parlent d’eux-mêmes. Sur les 70 000 détenus de l’Hexagone, 10,9% sont en situation d’illettrisme et 35% sont en grande difficulté de lecture.
Pour pallier ce défaut, un rapport du CGLPL concernant la prison de Guéret en 2013, précise qu’un dispositif existe pour les personnes enfermées, mais que ce type d’action reste rare. Concrètement, le dispositif appelé APP (Accompagnement au Projet Professionnel) s’étale sur deux heures, comme une classe, dans une salle remplie de plus d’une cinquantaine de détenus. Des conditions de travail difficiles pour ces nouveaux élèves à qui l’on demande un exercice, pour certains, inconnu.
Après avoir rédigé la lettre, les candidatures des détenus sont examinées. Une commission pluridisciplinaire unique s’occupe d’analyser la demande pour classer ou inscrire sur liste d’attente la demande du détenu. Précisément, c’est à cette étape que beaucoup de candidats ne trouvent pas de formations.
Selon le rapport de 2013, tous les détenus ne sont pas égaux face à l’accès à la formation : « Sont inscrits en priorité les condamnés dont la sortie est proche, quitte à les motiver lorsqu’ils ne sont pas spontanément demandeurs. » Ainsi, les formations professionnelles sont proposées en priorité aux détenus avec des courtes peines, ou avec des peines arrivant à terme.
Une troisième condition à remplir concerne le profil psychologique. Pour Catherine Veyssy, vice-présidente à la Région en charge de la formation professionnelle et de l’emploi : « La commission qui se réunit en présence de psychologues évalue durement le profil de la personne, sa capacité à assumer les contraintes de la formation ».
L’enjeu est d’éviter les tensions au moment de la formation, surtout que les détenus doivent travailler ensemble dans des espaces restreints et parfois manier des outils. La commission joue un rôle primordial pour construire une équipe fiable, capable de travailler ensemble malgré tout ce que la vie carcérale compte comme difficultés.
Une formation pour casser la routine
L’esprit de la formation professionnelle à la française réside dans cette idée : casser la routine. A contrario des pays nordiques comme la Suède ou la Finlande, les peines des détenus sont vues en France comme des pénitences, des jours à purger avant de retrouver la vie en totale liberté. Catherine Veyssy, vice-présidente à la Région chargée de la formation professionnelle le confirme : « Ces formations professionnelles ont avant tout pour objectif de rompre la monotonie d’une journée de détention ».
Des journées carrées : heure de repas fixe, sorties millimétrées et très peu de loisirs, le tout entre le béton ciré des prisons et les barreaux rongés par le temps. Pour Christophe de la Condamine, ancien détenu au centre de réinsertion de Mauzac en Dordogne : « Aller en formation ça casse la journée, elle ne se base plus sur le mode circulaire où on vit comme un chien. »
Ce constat est partagé par Pierre-Marie Fournier, représentant régional du Syndicat National de l’Ensemble des Personnels de l’Administration Pénitentiaire : « La formation n’est pas une source de motivation pour les détenus, personne ne souhaite s’investir sur un travail sous-payé ». Des rémunérations basses, quand elles sont effectivement rémunérées, elles ne dépassent pas les 2,56 euros nets de l’heure. Les offres de réinsertion sont régies par d’anciens statuts datant des années 90. « Les politiques ne se penchent pas sur ces statuts ou ne veulent pas s’y pencher. Ajoutez à ça une opinion publique défavorable à la rémunération des détenus dans une conjoncture économique défavorable, tout le monde s’en fout » renchérit le syndicaliste.
« Essayez de devenir journaliste en prison ! »
Pour cet ancien personnel du centre pénitentiaire de Bordeaux-Gradignan, les formations professionnelles ne répondent pas aux idéaux d’une réinsertion complète dans la société : « Je ne pense pas que les détenus intègrent par vocation les formations, il ne faut pas les idéaliser. »
« Essayez de devenir journaliste en prison ! Commencez à interviewer les matons, bon courage » assène Christophe de la Condamine. L’ancien braqueur, devenu écrivain à sa sortie de prison, ne mâche pas ses mots : « En maison d’arrêt y a pas de moyens, ils sont là pour gérer des flux et stocks, c’est leurs (ndlr : le personnel pénitentiaire) mots. » Des formations plus techniques sont disponibles : « Quand j’étais en centre de détention à Mauzac en Dordogne, il y avait une formation « production légumière » et aussi une formation. » Mais encore une fois, l’accès à ces formations dépend de la situation géographique du détenu et du lieu dans lequel ce dernier est incarcéré. Une inégalité de plus.