Le 8 avril dernier, le parlement a adopté une proposition de loi visant à protéger et promouvoir les langues régionales. Une victoire pour ses défenseurs, ternie par le recours déposé par 60 députés principalement de la majorité. Pour la Nouvelle Aquitaine, très investie dans la promotion des langues régionales, cette contestation est inadmissible.   

Nous espérons que ce recours ne sera qu’un soubresaut de peurs, devenues désormais obsolètes”, écrivait Charline Claveau, conseillère régionale déléguée aux langues et cultures régionales de Nouvelle-Aquitaine, dans un communiqué de presse du 23 avril dernier. Selon elle, la loi représente “l’opportunité de tourner enfin la page d’une longue période d’indifférence, voire de mépris, vis-à-vis de nos langues, de nos cultures, et donc de l’histoire de nos territoires et de la réalité actuelle de leurs habitants”. Concrètement, le texte entend protéger et promouvoir les langues régionales dans trois domaines : le patrimoine, l’enseignement et les services publics. Il s’inscrit dans une longue série de législations en faveur des langues régionales, mises en place depuis 1951 :

Depuis quelques années, la Région Nouvelle-Aquitaine défend ses langues régionales. En tout, on en compte trois sur le territoire : l’occitan, le basque et le poitevin-saintongeais. Les montants alloués à chaque langue ne sont pas les mêmes et parfois distribués de manière inégale. Enquête.

TROIS LANGUES RÉGIONALES DANS LE PATRIMOINE NÉO-AQUITAIN 

“On a trop dit aux gens que leur dialecte n’était pas une langue, pas un système linguistique à enseigner, que cela ne les fera pas progresser dans la vie.” Mathieu Avanzi, linguiste, dresse un triste constat de la perception des langues régionales. Une vision propre à la France, où seul le mot « langue » “est reconnu politiquement et officiellement”, tandis que les mots “dialecte” et “patois” sont interprétés négativement. “Alors que c’est la même chose  : le patois concerne le système linguistique d’un village et un dialecte est une famille de patois. Le terme langue est récent et est moins connoté que dialecte ou patois.” 

Les langues régionales font pourtant partie de notre histoire nationale. En Nouvelle-Aquitaine, le basque, l’occitan et le poitevin-saintongeais composent le paysage linguistique de la région. L’euskara, communément appelé le basque, est implantée depuis l’air paléolithique, faisant d’elle la langue la plus ancienne d’Europe. Sa particularité ? Être un isolat. Elle n’a aucune racine commune avec les autres langues. Elle est comparable au coréen ou au corse. Contrairement au basque, l’occitan, plus récent, arrivé au Ve siècle, est l’une des huit langues romanes issues du latin. Il s’étend de la Nouvelle-Aquitaine à l’Italie en passant par la Catalogne. Également pourvu d’une particularité, ce dialecte est couronné d’un prix Nobel de Littérature, grâce à l’œuvre Mirèo (Mireille) de Frédéric Mistral en 1904. Le Poitevin-Saintongeais, lui, est une langue d’oïl, venant du nord de la France. Ce patois a de fortes teintes occitanes, et est parlé de la Loire à la Gironde. Du nord au sud du territoire, des variantes existent et des batailles de graphie se sont parfois engagées notamment entre les poitevins et les saintongeais.

LA RÉGION PRÉSERVE SON HÉRITAGE 

Au XIXe, on parlait patois dans les villages : on allait au lavoir, on s’occupait des bêtes et des champs.. tout dans sa propre langue régionale ”, raconte Mathieu Avanzi, linguiste, “mais nos sociétés ont évolué”. Le français s’est imposé sur l’ensemble du territoire, grignotant petit à petit les dialectes régionaux. Selon Jean-Christophe Dourdet, unique professeur officiel de poitevin-saintongeais sur le territoire,  “ la transmission des langues régionales se perd à l’intérieur même des familles, et les locuteurs sont de plus en plus âgés« . Pour faire perdurer ces particularismes régionaux, une solution : l’enseignement, surtout s’il est soutenu par la Région. Le territoire néo-aquitain, présidé par Alain Rousset s’engage d’ailleurs à travers des financements importants, se substituant parfois à l’Éducation Nationale trop peu investie.

C’est en tout cas l’avis de Clément Flouroux, parent d’élève et membre de l’Association pour le bilinguisme français-occitan dans l’enseignement public : “du côté de l’Education Nationale, il y a de la mauvaise volonté, heureusement elle est compensée par l’action commune des départements, de la Région et des associations.”  Les acteurs phares de ce partenariat ? L’Office Public de la Langue Basque (OPLB), et celui de la Langue Occitane (OPLO). Créés respectivement en 2004 et 2016, ils s’occupent d’appliquer la politique linguistique de la Nouvelle-Aquitaine. Ce sont eux qui reçoivent les financements de la Région et s’occupent de les redistribuer à la plupart des associations sur le terrain. 

En 2020, la Région a donné à l’Office Public de la langue Occitane  un budget de 946 900 millions d’euros. Un montant plus important que celui alloué au Basque (860 000 euros) mais aussi au poitevin-saintongeais (213 600 euros). Logique, lorsqu’on sait que le nombre d’occitanophones est bien plus important que celui des autres langues vernaculaires.


Les financements sont en augmentation. Gaël Tabarly, chargé de communication à l’OPLO, explique : “Si la tendance générale est à la baisse dans le domaine de la culture en France, le budget de l’OPLO augmente chaque année.” Cela reste néanmoins insuffisant pour relever les enjeux auxquels font face les langues régionales. Même constat pour son homologue Olivier Mioque,  “la Région nous verse une enveloppe de plus en plus importante, mais ce n’est jamais assez !” plaisante-t-il. 

Le budget alloué au poitevin-saintongeais par la Nouvelle-Aquitaine ne représente que 6,1% du financement de l’aire linguistique. “Avec l’agrandissement des régions en 2016, nous avions beaucoup d’espoir, témoigne Jean-Christophe Dourdet, mais concrètement, peu de choses ont été faites« . Depuis cinq ans, les défenseurs de la langue attendent un recensement du nombre de locuteurs toujours approximatif en comparaison avec les chiffres officiels des autres dialectes et pourquoi pas l’ouverture de son propre office public. La langue n’est enseignée ni en primaire ni au secondaire, difficile donc d’assurer sa transmission.

LA RÉFORME DU BAC FRAGILISE LES LANGUES RÉGIONALES

Toutefois, le basque et l’occitan rencontrent eux aussi des difficultés, tout particulièrement depuis la réforme du bac en 2018. Les langues régionales ne sont plus proposées en LV2 au collège et au lycée. “Elles sont devenues des options comme le latin et non plus des matières obligatoires. Sauf que ce sont des langues vivantes et le latin, une langue morte” se désole Eugénie Lopez, enseignante d’occitan dans le second degré.

Mais ce n’est pas l’unique écueil. Les lycéens choisissent en plus d’un tronc commun des spécialités  (trois en première, deux en terminale) telles que les mathématiques, l’histoire, la littérature, l’anglais ou l’espagnol… Les langues régionales se retrouvent donc en concurrence avec ces matières. “Ces dialectes ont perdu leur fonction communicationnelle” explique le linguiste Mathieu Avanzi, “alors forcément, les élèves ont plutôt tendance à choisir des langues comme l’anglais, qui seront bien plus utiles dans leur vie future”. 

Concernant les options au baccalauréat, même son de cloche. Le coefficient de l’épreuve langue régionale représente environ 1% de la note finale. Résultat : passer cette option au baccalauréat rapporte très peu de points aux candidats. “Maintenant, seuls les étudiants passionnés continuent cette option” affirme Clément Flouroux. “Choisir d’étudier une langue régionale suscite bien moins d’intérêt, confirme Jakes Sarraillet, chargé de mission pour la langue régionale basque. On a perdu au moins 50% des élèves depuis l’adoption de cette réforme pour la langue basque et ça va continuer.” Parfois ce sont les épreuves qui déçoivent. Ça a été le cas pour Marion Bourdaa, bachelière en 2017 : “Je parle l’occitan depuis que je suis petite et lors de l’épreuve d’occitan on devait relier des mots à la règle. On nous a pris pour des débutants, retour au CP !”  Cela risque de décourager bon nombre d’élèves de choisir cette option dès le collège.

À partir de la sixième, l’occitan n’est enseigné qu’à raison de deux heures par semaine. “Grâce à cet apprentissage, ils peuvent bénéficier de points supplémentaires pour le brevet. Cette option peut faire gagner jusqu’à 20 points de plus.” Un argument dont Eugénie Lopez n’hésite pas à se servir pour attirer le chaland, tout comme sa manière singulière d’enseigner la langue : elle a pris le parti de donner ses cours de manière très ludique “comme c’est une option, je passe par le chant, la danse.” 

UN ENSEIGNEMENT EN AUGMENTATION

Mais l’envie de revendiquer son identité culturelle, rattachée à son dialecte, est parfois plus forte que celle de glaner quelques points supplémentaires au bac. Les jeunes “veulent parler les langues régionales avec leurs grands-parents et leurs arrières grands-parents, il y a une attache familiale importante” atteste Eugénie Lopez. S’imprégner des traditions, des troubadours occitans au chants basques en passant par les poèmes poitevins-saintongeais, fait en effet partie intégrante du rôle de l’enseignement.

Plusieurs organisations sont chargées de l’apprentissage des langues régionales. En maternelle et élémentaire, certaines écoles ont des cours la moitié de la semaine en patois et l’autre moitié en français : c’est ce qu’on appelle l’enseignement à parité horaire. “Je me charge du cours d’histoire ou de sport en basque puis mon collègue enseigne la géographie en français ” explique Eki Marguiraut, professeur en maternelle. Arrivés au collège, les élèves ont la possibilité de continuer l’apprentissage de la langue via une option, la DNL – certaines matières comme l’histoire ou la géographie y sont enseignées en langue régionale – ou les classes bilingues. “Il y a une très forte demande de la part des familles, si bien qu’en dix ans on constate une nette augmentation de classes bilingues ” précise Clément Flouroux, parent d’élève. Entre 2014 et 2018, 11 sections de ce type ont été créées au collège pour la langue basque.

En plus des établissements scolaires classiques, des écoles privées ou associatives dispensent elles aussi un enseignement immersif (100% des cours sont dans le dialecte étudié), les ikastolas en basques et calandretas en occitan. Un moyen choisi par certains parents d’élèves insatisfaits des établissements scolaires classiques. En effet, dans le public, les effectifs de l’élémentaire stagnent voire augmentent, au collège la baisse est minime, alors qu’au lycée la réforme du bac a fait dégringoler le nombre d’apprenants.

Côté enseignants, les chiffres sont à la hausse. De fait, la Région s’est investie pour motiver les troupes. Alors qu’en 2010, 3 postes pour le CRPE (concours pour devenir professeur en maternelle ou école élémentaire) bilingue occitan étaient à pourvoir, 19 étaient disponibles cette année.

Depuis 2018, il est possible de passer l’agrégation en occitan ; une nouveauté non négligeable, même si le nombre de postes reste maigre. Pour mobiliser le plus de monde, une bourse nommée “ensenhar”, mise en place il y a 3 ans, permet à des étudiants ou enseignants de postuler pour un an de stage de formation pour enseigner l’Occitan. “Cette bourse nous a beaucoup aidé à attirer de nouveaux enseignants pendant la période post réforme du bac” commente Clément Flouroux.

Les Académies de Toulouse, Limoges, Bordeaux et Montpellier bénéficient depuis 2017 d’une convention pluriannuelle interacadémique, à contrario du basque, pour “renforcer des ouvertures de classes bilingues, augmenter les effectifs dans le primaire et le secondaire” explique Gaël Tabarly. ”C’est devenu notre Bible”, ose même Clément Flouroux. Si la Région tente de mobiliser de nouveaux professeurs, un problème persiste à plus grande échelle, celui de la valorisation du métier par l’Education Nationale. “J’enseigne l’occitan, je ne me sens pas du tout considérée à ma juste valeur, j’ai l’impression d’enseigner une matière secondaire”, s’attriste Eugénie Lopez. Et pourtant les professeurs ne désespèrent pas : les effectifs augmentent.

Mais que devient le poitevin-saintongeais dans cette histoire ? Actuellement il n’existe aucun enseignement officiel, ni au primaire, ni au secondaire. Seule une option de poitevin-saintongeais accessible au second semestre de L2 à l’Université de Poitiers résiste encore et toujours.  En revanche, cela fait tout de même deux ans qu’elle n’a pas ouvert ses portes. “ L’Université a décidé d’un seuil minimum de vingt élèves pour lancer certaines options, celle concernant le poitevin-saintongeais en pâtit indéniablement ”, explique le professeur Jean-Christophe Dourdet. Depuis deux ans, ils ne sont qu’une dizaine à vouloir suivre les dix heures hebdomadaires de poitevin-saintongeais, pas assez pour l’Université. 

Alors l’enseignant lance des opérations de séduction : cycles de conférence, spectacles, expositions, et collage d’affichettes promouvant la langue dans tout son établissement. “À l’avenir, nous serons particulièrement attentifs à la gestion de l’enseignement”, déclare Michel Gautier, auteur et militant poitevin-saintongeais,  “avec l’arrivée des élections, nous attendons beaucoup de la Région”. Un espoir partagé par tous. Lore Marguiraut, ancienne élève LV2 en basque, confie avec tendresse : “ le basque me sert comme un outil humain et m’aide tout simplement à être heureuse dans la vie” 

Corentin Alloune, Maxime Asseo, Abdelmalek Benaouina, Camille Bigot, Anaëlle Larue et Julie Malfoy