Le redécoupage et l’agrandissement des régions a entraîné la fusion des anciennes ligues sportives régionales et la recomposition des championnats. Un processus inexorable qui aboutit à l’isolement géographique de certains clubs.
1er janvier 2016. Aquitaine, Limousin et Poitou-Charentes fusionnent en une seule et même grande entité régionale. En découle l’apparition progressive de compétitions XXL entraînant une forte augmentation des distances à parcourir pour certains clubs. Pour évaluer les retombées de cette fusion sur les clubs, nous avons lancé une enquête autour de trois sports emblématiques de la Nouvelle-Aquitaine : le football, le rugby et le basket.
Pour certains clubs, les distances de déplacement ont flambé. A tel point qu’il est parfois délicat de mobiliser les équipes pour les compétitions. D’autres clubs s’y sont quant à eux retrouvés, certains ont même vu leurs distances à parcourir largement diminuer. C’est à la rencontre de ces équipes que nous vous emmenons dans cette enquête forte en kilomètres. Suivez-nous dans les bureaux des ligues où se dessinent les poules des championnats régionaux ou encore sur le bord des routes empruntées par les clubs, qui mettent parfois six heures aller-retour pour jouer un match. Alors, cette grande région symbole d’un renouveau sportif : réelle ou illusoire ?
Comment les ligues organisent la composition des championnats
Les nouvelles ligues sportives de la région Nouvelle-Aquitaine ne se sont pas constituées dès le lendemain de la réforme territoriale de 2015. La ligue de football a été fondée deux années plus tard en 2017, celles de rugby et de basket en 2018. Il a donc fallu entre deux à trois ans de préparation pour les membres des futures ligues afin de réorganiser les championnats à l’échelle de la nouvelle région : une tâche conséquente vu l’étendue du territoire.
David Seguin, coresponsable de la Commission des compétitions de la ligue de basket Nouvelle-Aquitaine (NAQ), a participé à ces discussions décisives et élabore chaque année la composition des poules. L’ancien découpage régional y transparaît : « On a gardé l’esprit des anciennes régions pour éviter autant que possible de trop longues distances et on s’est calqués sur le modèle de l’ancienne ligue d’Aquitaine qui était déjà très étendue ». Les choses n’ont d’ailleurs pas tellement changé pour les clubs de l’ancienne région. Ceux des Landes et des Pyrénées-Atlantiques se recoupent souvent étant donné le très grand nombre des clubs dans ce bassin. Les ligues essaient aussi de prendre en compte autant que possible l’accessibilité par les réseaux routiers : « On essaye de privilégier les autoroutes aux routes de campagne pour une durée moindre de déplacement ». Mais le critère sportif prend parfois le pas sur cet aspect pratique. Plus le niveau de la compétition est élevé, plus les déplacements sont lointains. De même que, les poules sont organisées en fonction des résultats des années précédentes, les dernières places ne devant pas se retrouver dans une même poule sinon le niveau deviendrait trop faible.
Du côté du football, Vincent Vallet, directeur du pôle compétition au sein de la ligue de Nouvelle-Aquitaine, explique que le redécoupage des régions, acté depuis le 1er janvier 2016, a entraîné une restructuration des compétitions régionales pour le ballon rond. La ligue a dû plancher pour éviter que les clubs fassent des déplacements d’un bout à l’autre de la région. Elle a alors décidé que les clubs qui évoluent en Régionale 3 ne doivent pas dépasser les 150 km par matchs à l’extérieur, les 200 km en Régionale 2 et sensiblement la même chose pour la Régionale 1. Concernant ce dernier échelon de compétitions, la ligue semble avoir réussi son pari puisque les clubs parcourent en moyenne 124 km, selon nos calculs. « Nous associons les clubs à cette répartition en récupérant leurs souhaits. Ils choisissent leur secteur préférentiel ainsi que les zones qu’ils souhaitent écarter pour éviter de trop longues distances à parcourir », explique Vincent Vallet. La ligue a aussi mis en place un défraiement kilométrique pour les clubs équivalent à 1,1 euros du kilomètre.
Pour Michel Fadeuilhe, responsable du pôle administratif Bassin Arcachon FC, c’est seulement « une goutte d’eau dans le budget. Il n’a pas d’impact sur la santé économique des clubs ».
Déplacements : la roue de l’infortune
Pour David Seguin de la ligue de basket NAQ, la transition s’est plutôt bien passée pour les clubs. A Bergerac, club de Dordogne situé dans l’ex-région Aquitaine, on s’est très vite réjoui de la fusion avec les anciennes ligues, et surtout avec celle du Limousin : des distances moins importantes et des matchs plus accessibles. Jusqu’en 2018, l’équipe masculine engagée en deuxième division régionale faisait partie d’une poule avec des clubs du Béarn et des Landes. Désormais, Bergerac affronte des équipes de l’ex-Limousin. « Se rapprocher de Limoges, ça nous arrange dans le sens où c’est plutôt bien desservi et ce n’est qu’à deux heures de route. Brive et Tulle sont aussi faciles d’accès par l’autoroute”, commente Guillaume Laroche, co-président de l’US Bergerac Basket. Résultat : entre la saison 2017 et 2018, la première équipe masculine parcourt 700 km de moins sur la saison (4400 km contre 3700 km).
Certains clubs de football ont eux aussi bénéficié de ces nouveaux championnats régionaux. C’est le cas par exemple du SU Agen, 1220 km de moins entre la saison 2016-2017 et la saison en cours. Pour le club de Biarritz Jeanne d’Arc aussi, les déplacements se sont drastiquement réduits au fil des ans, passant de 5423 km effectués en 2016 à 3974 km prévus pour la saison 2020. Le Club de football de l’EL Béarnais d’Orthez se retrouve également dans une situation surprenante. En 2016, l’équipe évoluant en Division d’Honneur, actuelle Régionale 1, a parcouru 5 396 km au cours de la saison, soit un véritable périple le long des départementales, nationales et autres voies rapides.
Mais lorsqu’on s’attarde sur les distances parcourues par certains clubs situés aux extrémités de la région, le nombre de kilomètres augmente d’année en année. Un cas particulier saute aux yeux : celui des clubs de basket de l’ancienne région du Limousin. Ceux de la Corrèze et de la Creuse se retrouvent avec des distances qui ont parfois doublé. L’équipe féminine de l’Union sportive Tulle Corrèze en Pré-Nationale parcourt, par exemple, beaucoup plus de kilomètres qu’avant la réunion des trois régions. D’environ 2000 km par saison à l’époque de l’ancienne région du Limousin, elles sont aujourd’hui contraintes de faire près de 5120 km. Un changement si conséquent que le président du club, David Luc, s’est d’abord demandé si le jeu en valait la chandelle : « Nous avons exposé aux filles les différentes possibilités. S’engager en pré-nationale était intéressant en termes de niveau, mais il fallait passer beaucoup de temps sur la route. Ce sont des filles compétitrices dans l’âme et la passion du basket leur a fait accepter l’idée de se déplacer. »
La situation est encore plus difficile pour des clubs avec des effectifs plus modestes. Pour Olivier Richard, président de l’Amicale Laïque de Bénévent, ce problème est flagrant depuis la fusion en 2018 : « Pour les garçons qui se déplacent jusqu’à Bordeaux, ça reste raisonnable. Pour les filles, il y a beaucoup plus de déplacements : elles vont jusqu’à la façade atlantique ; en Vienne, en Charente, dans les Deux-Sèvres. Avant, la rencontre le plus éloigné c’était Brive-la-Gaillarde ; maintenant, c’est La Rochelle. » Un témoignage corroboré par David Seguin qui reconnaît le « cas creusois » : « C’est vrai qu’on a quand même du mal à répondre au problème des longues distances des clubs isolés. Le cas des clubs de la Creuse est le plus marquant vu leur isolement géographique. »
D’autant plus, que les déplacements pour les matchs sont aux frais du club alors même que le changement d’échelle des compétitions fait parfois doubler les coûts.
“Système D”
La région Nouvelle-Aquitaine, qui n’a pas souhaité répondre à nos sollicitations, ne prévoit pas d’aide financière pour compenser le surcoût de déplacement des clubs. En revanche, les comités sportifs départementaux, selon leurs propres règles, décident de verser une aide en fonction du niveau des championnats. La Creuse propose par exemple une aide financière pour les déplacements des clubs engagés en nationale. Pour les autres, c’est le système D : les joueurs se véhiculent eux-mêmes ou si le comité départemental le permet, se déplacent en minibus avec l’essence aux frais du club. Selon David Luc, cette situation entraîne un refus de certains clubs « aux moyens plus faibles » de ne pas passer au niveau supérieur pour ne pas subir ces déplacements trop coûteux et fatigants.
Le RC Aubussonnais, autre club de rugby creusois, s’est montré peu enthousiaste à l’idée de faire des déplacements à rallonge. Un changement de ligue a même été évoqué par son président, Michel Galvaing, à l’issue de la saison 2018-2019 où son club a parcouru jusqu’à 298 km pour un simple match. “On s’est demandé si on ne devait pas rejoindre la ligue d’Auvergne Rhône-Alpes, confirme-t-il. Il y a plus de clubs autour de Clermont-Ferrand qui sont plus proches de nous.” Les lourdes démarches administratives ont rendu l’idée caduque. Elle aurait pourtant permis au club d’éviter de déclarer forfait à plusieurs rencontres. “Certaines étaient trop loin et des joueurs se lassaient d’effectuer de telles distances, pour un coût qu’on évaluait de 400 à 600 €. Ça ne valait pas le coup, de l’aveu même des joueurs.” Une nouvelle réforme territoriale est dans les tuyaux pour faire face à ces problématiques, même si le calendrier n’a pas encore été défini. Elle doit permettre aux clubs isolés de multiplier les ententes et de devenir pérenne. “On entend qu’il faut faire des « ententes » entre clubs pour survivre, mais ce n’est pas possible avec d’aussi grandes distances dans la Creuse, grince Michel Galvaing. Les clubs autour de Limoges n’ont pas ce problème puisqu’il y a une petite concentration.”
Concerné par les déplacements à rallonge, le vice-président du club de La Souterraine Didier Gorius préfère voir le positif. “Certes, on s’est retrouvé avec des équipes de la Vienne, de Charente, mais les déplacements ne sont pas plus importants, aux alentours de 135 km au maximum. Cela nous a fait du bien de changer des clubs que l’on rencontre tout le temps.”
Narrosse : « les supporters ne se déplaçaient plus »
D’autres clubs ont eu une mauvaise surprise en découvrant les compositions des poules de la saison 2018-2019 des divisions départementales. C’est notamment le cas de l’AS Narrossaise, modeste équipe de rugby de 3e et 4e Série, qui s’est demandé si la composition de la poule 5 de Nouvelle-Aquitaine n’était pas une mauvaise farce. La formation landaise, située dans la banlieue de Dax, s’est retrouvée avec cinq clubs proches de Bordeaux : Cénac, Pessac, Saint-Loubès, Saint-Aubin-de-Médoc et Galgon. Résultat : près de 2178 km parcourus pour disputer les rencontres. « Pour monter à Galgon, et même vers les clubs autour de la Gironde, le coût d’une journée pouvait monter à 750 euros, se remémore le président Jean-Louis Bouyrie. Avec 4-5 déplacements comme celui-là, ça a été terrible pour les finances, sans compter les 6 heures de bus pour un simple match. »
Le club Narrossais a vu les problèmes se multiplier. Les trajets s’allongeant, le club a dû préparer des repas pour le trajet. L’absence de supporters a aussi pesé sur les finances. « Il n’y avait jamais de supporters ! Lorsque l’équipe adverse se déplaçait chez nous, il n’y avait aucun supporter qui faisaient le déplacement, et inversement. Les distances trop longues les décourageaient à nous suivre…”. La buvette, lieu symbolique mais ô combien vital pour la trésorerie des équipes de divisions territoriales, a vu l’affluence habituelle chuter. Et la ligue de Nouvelle-Aquitaine est restée insensible à ces difficultés. “Elle ne nous a rien donné, mon trésorier me l’aurait notifié, rigole Jean-Louis Bouyrie. On a rien eu de toute la saison… En tout cas, il n’y a pas eu “d’enveloppes”, sauf de la part de nos sponsors et de la commune qui nous ont bien soutenus.” Les aides de l’institution régionale se sont limitées à des biens matériels, tels des jeux de maillots.
Les répercussions ont aussi été sportives. Les joueurs n’étaient pas tous dans les meilleures conditions pour disputer une rencontre sportive de 80 minutes, particulièrement ceux qui travaillaient le dimanche matin. La fatigue influençait la condition physique des joueurs. Jean-Louis Bouyrie se souvient d’une rencontre où, en plus du car affrété pour la majorité des joueurs, “un véhicule personnel avait été nécessaire pour que certains qui travaillaient le matin puissent jouer l’après-midi à 15h30”. Une situation ubuesque qui a été prise en compte par la ligue lors des deux années suivantes, puisque la totalité des déplacements représentait respectivement 1229 km pour la saison 2019-2020 et 1138 km pour la saison 2020-2021.
Des balbutiements, un remaniement obligatoire des ligues avec l’apparition de la grande région Nouvelle-Aquitaine, ces institutions régionales face à l’obligation d’harmoniser et d’égaliser les distances de déplacement selon les clubs.
Le remaniement obligatoire des ligues avec l’apparition de la grande région Nouvelle-Aquitaine a entraîné un bouleversement du fonctionnement du monde amateur. Après quelques années à tâtonner, l’institution régionale semble enfin trouver une juste répartition pour que les clubs effectuent les trajets les plus courts possibles… mais du chemin reste à parcourir avant que les rouages soient parfaitement huilés.
Emma Saulzet, Hugo Bouët, Carla Monaco, Maxime Dubernet De Boscq, Océane Provin et Maxime Giraudeau