Des aides financières inadaptées au bio

Certaines aides de la PAC, Politique agricole commune de l’Union européenne, veulent inciter à une transition vers l’agriculture biologique. Mais ces subventions, gérées par la région, ne suffisent pas. Pertes de rendements, absence d’aides à l’accompagnement technique ou encore principe d’euros par hectare, les freins à la conversion sont nombreux.

“J’ai besoin d’assurer notre chiffre d’affaires. Mon but c’est de faire une marge et de gagner ma vie. Or en bio, c’est plus compliqué.” Aurélien Cabé, céréalier dans les Landes, n’a pas encore franchi le pas du bio. La perte de rendement est l’une des principales préoccupations de cet agriculteur. Comme lui, plusieurs professionnels craignent cette conversion qui exige de coûteux changements. “Il faut trouver de la main d’œuvre pour arracher les mauvaises herbes. J’ai 300 hectares. Ça fait beaucoup de personnes donc plus de dépenses.”

Etienne Laveau, conseiller viticole bio à la chambre d’agriculture de Gironde donne un exemple pour expliquer cette augmentation des frais. “En viticulture bio, il faut être capable de traiter l’intégralité de son exploitation en une journée. Si vous avez 20 hectares, il vous faut, disons, un pulvérisateur, si vous avez 40 hectares il vous en faut deux. Alors qu’en conventionnel, on peut traiter sur plusieurs jours, donc un pulvérisateur peut faire 40 ou 100 hectares.” En bio, les coûts de production sont multipliés dès qu’on augmente le nombre d’hectares.

Pour encourager les exploitants à changer leurs pratiques, des aides financières sont proposées. Parmi elles, la Politique agricole commune (PAC) mise en place à l’échelle européenne puis en partie gérée à l’échelle régionale. C’est ce que confirme une conseillère de la Chambre d’agriculture de Charente. “Ces aides permettent de pousser à la conversion. Sans la PAC, nous n’aurions jamais eu autant de conversions sur nos territoires.” 

Ce soutien financier est parfois le premier motif de la conversion. C’est notamment le cas de Jonathan Lalondrelle, éleveur de volailles et secrétaire général des Jeunes Agriculteurs (JA) de Nouvelle-Aquitaine. “Je suis passé en bio depuis deux ans, principalement pour des raisons économiques. Je suis allé chercher les subventions. Cela m’a permis d’augmenter les aides PAC, j’ai touché 12 000 euros pendant cinq ans.” Mais ces subventions de la PAC varient en fonction du profil des agriculteurs. L’âge, la taille de l’exploitation, le type d’exploitation entrent en ligne de compte. Pour illustrer cela, nous avons pris trois profils différents d’agriculteurs de la région.

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Mais ces aides ne sont pas forcément adaptées au bio. Il y a un décalage avec les attentes du bio et la réalité du terrain. “ La PAC pourrait être mieux répartie. Comme c’est une aide à l’hectare et non à l’exploitation, cela influence beaucoup les choix stratégiques.” Guillaume Saraillé, producteur de céréales bio dans les Pyrénées-Atlantiques, raconte que certains agriculteurs profitent du système. “Au lieu d’embaucher de la main d’œuvre pour avoir une activité mieux construite et avec plus de valeur ajoutée, cela pousse les gens à avoir 100 hectares de plus pour toucher plus d’argent.”

La logique de l’aide à l’hectare est avant tout économique. Alexandra Langlais, chargée de recherche au CNRS et membre d’une plateforme des Nations-Unies pour l’environnement, le confirme. “Nous sommes dans une logique de l’agro-bio-business qui se calque sur une production de masse au risque de perdre l’identité de l’agriculture biologique.”

Plusieurs cultivateurs regrettent cette politique de l’agrandissement et préfèrent une aide en fonction des Unités de Travailleurs Humains (UTH), autrement dit du nombre de salariés. Or, cette alternative n’est pas viable pour Franck Michel, économiste à la chambre d’Agriculture régionale de Nouvelle-Aquitaine. « Paradoxalement, si on met une aide à l’actif, il y a autant de salariés agricoles en Roumanie et en Pologne que dans le reste de l’Union européenne. On déplacerait une grosse partie des aides de l’ouest vers l’est, et la France ferait partie des perdants.” 

“Le vrai souci c’est que ces aides ne sont pas plafonnées.

Franck Michel, économiste à la chambre d’Agriculture régionale de Nouvelle-Aquitaine

Pour autant, le principe de l’aide à l’hectare comporte des failles, poursuit Franck Michel. “Le vrai souci c’est que ces aides ne sont pas plafonnées. En établissant une limite, cela permettrait de contrer la course à l’agrandissement et d’éviter que les aides se concentrent dans quelques grandes exploitations.” Dans les faits, les exploitations biologiques sont pourtant plus petites que les conventionnelles. L’aide à l’hectare n’est pas forcément appropriée pour le bio.

Crédit Fanny Narvarte

Un manque d’accompagnement technique

“Le gros problème, c’est qu’il n’y a pas d’accompagnement technique : on donne l’argent mais il faut être excellent, notamment en grandes cultures, pour réussir à gagner sa vie.” Jonathan Lalondrelle dénonce un manque d’appui technique lors de la conversion. Un critère important mais négligé par la PAC, la rendant parfois inadéquate. Le conseiller viticole bio à la chambre d’agriculture de Gironde précise : “il faudrait déterminer des aides liées à l’investissement, c’est-à-dire au matériel, à la main d’œuvre et à la technique. C’est là où parfois ça pêche un petit peu.”  À ce manque d’accompagnement technique s’ajoute un défaut de formation de la main d’œuvre. 

Généralement issus de l’agriculture conventionnelle, les salariés ne sont pas systématiquement initiés aux pratiques bio. David Richard, salarié à la ferme Larqué dans les Pyrénées-Atlantiques, explique : « Produire bio, ça demande plus de compétences, plus de travail. Il faut trouver de la main d’œuvre, la former, la garder.”  Même son de cloche du côté de Gaëtan Bodin, viticulteur et céréalier en Charente-Maritime et président JA de la région. “Si demain on me dit qu’il faut que je passe toute mon exploitation en bio sans altérer mes revenus, j’y vais ! Mais, avec les moyens techniques qu’on a, aujourd’hui, avec le bio, il y a une baisse de production. Manque de formation, manque d’outils à la dispo… Je me pose des questions.”

À ces points de frictions, s’ajoutent d’autres incertitudes. La PAC 2023 est encore en discussion et, pour l’instant, rien n’invite Gaetan Bodin à l’optimisme. “Les discussions sont en cours, c’est très opaque pour le moment ! Le budget a un peu diminué avec le Brexit et d’autres phénomènes. Les agriculteurs vont perdre. Il y a des arbitrages en cours et il y a des filières qui vont toucher moins d’aides de la PAC. Il faut voir comment faire pour ne pas avantager une filière aux dépens d’une autre.”

Malgré une PAC 2023 aux intentions plus vertes, ce flou inquiète les agriculteurs et risque de dissuader les futures conversions vers le bio. D’autant que certaines subventions sont en sursis. “Les aides au maintien sont vouées à disparaître. L’Etat est en train de tout basculer vers les aides à la conversion. C’est une logique de répartition, » ajoute Alexandra Langlais. Pour l’Etat, il est plus important de donner un “coup de pouce” au début de la conversion, quitte à miser sur les prix de vente élevés du bio pour assurer la subsistance des agriculteurs. Jusqu’ici, les régions avaient autorité sur la gestion de ce point. Mais la nouvelle PAC prévoit une reprise en main par l’État des aides à la transition écologiques afin d’éviter les distorsions au sein du territoire.

Interrogé, aux micros de BFMTV/RMC, sur la question de la conversion vers le bio, le ministre de l’Agriculture Julien Denormandie, a souligné “qu’il faut avoir en tête que [pour] la PAC, les discussions sont en cours et dès que vous mettez [de l’argent] quelque part, cela veut dire que vous prenez sur d’autres cultures.” Il mise aussi sur le plan de relance pour combler les manques du gouvernement et rattraper le retard sur les objectifs de 15% de surfaces agricoles utilisées fixés qui ne seront pas atteints en 2022.

Juliette Brossault, Lou Surrans et Fanny Narvarte