Gestion de l’eau : le bio se noie

Au cœur des problématiques environnementales, l’eau devient un véritable enjeu politique pour les élections régionales de 2021. Comment optimiser cette ressource pour favoriser le développement de l’agriculture biologique ? Notre enquête révèle que dans des zones sensibles de captage de l’eau, les chiffres du bio sont moins bons que la moyenne régionale.

Sans eau, il n’y a rien qui pousse. On peut donner des injonctions en disant aux agriculteurs qu’ils doivent changer de modèle… Or, notre région va être frappée de plein fouet par le dérèglement climatique. Il y a dix ans, vingt ans même, que nous aurions dû préparer cela. Il faut pouvoir donner des perspectives aux agriculteurs”. Ces mots sont signés Geneviève Darrieussecq, candidate tête de liste LREM, qui a lancé sa campagne pour les régionales avec la question de l’eau.

Sur ce sujet, la région a fourni certaines données selon lesquelles deux tiers des masses d’eaux superficielles néo-aquitaines sont considérées comme dégradées et un tiers des masses d’eau souterraines sont en mauvais état chimique. Comme le reste de la planète, la Nouvelle-Aquitaine n’échappe pas aux problématiques inhérentes au réchauffement climatique comme les sécheresses ou l’altération des milieux.

Derrière LREM, les autres forces politiques, qui se disputeront la région en juin prochain, s’attachent aussi à faire de la question de l’eau un point primordial. À l’occasion de la dernière séance plénière du 29 mars 2021, Barthélémy Aguerre (Modem et apparentés) déclarait par exemple: “Sur la qualité des eaux, le bio a un impact positif”. Même son de cloche pour Pascal Duforestel (PS et apparentés) au moment de souligner “le lien étroit entre agriculture bio et accès à l’eau.” 

Il y a une relation directe entre l’agriculture et la gestion de l’eau

Olivier Raynard, directeur de la Délégation Poitou-Limousin de l’Agence de l’eau Loire-Bretagne

Selon Olivier Raynard, directeur de la Délégation Poitou-Limousin de l’Agence de l’eau Loire-Bretagne, “les pollutions des villes et des industries, historiquement les plus importantes, ont été réglées. Mais les pollutions diffuses, qui sont majoritairement agricoles, posent problème. Il y a une relation directe entre l’agriculture et la gestion de l’eau. L’intérêt de l’agriculture biologique, c’est qu’on n’utilise pas de produits pesticides.

Les zones à “enjeu eau”, défi pour la région

Favoriser l’agriculture biologique aurait donc un impact direct sur la qualité de l’eau. La région mise d’ailleurs sur cette corrélation en augmentant les aides dans les “zones à enjeu eau” pour encourager la conversion. Depuis 2017, en concertation avec l’État et les Agences de l’eau, elle avait fixé, pour une période allant jusqu’en 2020, certaines modalités à travers le Pacte d’ambition régionale pour l’agriculture biologique. Ce plan, qui plafonne d’ordinaire les aides à la conversion à 18 000€/ exploitation/an, augmente ces aides à 20 000€/exploitation/an pour ces zones. Ce Pacte d’ambition régionale a d’ailleurs été reconduit jusqu’en 2022. 

Ces zones à enjeu eau sont essentielles pour l’agriculture. C’est depuis ces endroits que l’eau est captée pour les particuliers mais, aussi, par les agriculteurs pour leurs cultures. Désignées sous le terme d’AAC, Aire d’alimentation de captage, certaines d’entre elles ont même des statuts “prioritaires” qui orientent l’action à mener sur ces 81 zones “à enjeu eau.”
Olivier Raynard détaille : “Sur des zones où l’on a besoin d’une eau de qualité pour la consommation courante, il faut développer une agriculture qui minimise les risques de transferts de pesticides et de nitrates. On la favorise sur des zones de captage. En bordure de cours d’eau, on limite aussi un maximum les transferts.”

Et pour l’Agence de l’eau Loire-Bretagne, qui intervient sur 29% du territoire de la Nouvelle-Aquitaine, ces aides et ces politiques mises en place permettent de profiter au terrain. “On apporte des financements à la conversion, pour que les agriculteurs puissent mettre en place ce type d’agriculture et en priorité sur des secteurs de captage d’eau potable. Sur les 5 dernières années, on a dû financer à hauteur de 16 millions d’euros”, ajoutant “qu’il y a des mesures d’accompagnement comme la restauration de haies qui freinent les écoulements, l’agroforesterie, la diversification des assolements…

Pourtant, la réalité semble encore loin des ambitions politiques. Dans certaines zones prioritaires, comme celle de Coulonge, qui s’étend sur six départements au nord de la région, la part de surface agricole utile par le bio atteint seulement 5,4%, loin de la moyenne régionale de 7,4%. Plus que ce faible pourcentage, ce décalage implique aussi une dégradation de la qualité de l’eau, notamment en raison de l’utilisation de pesticides dans cette zone. C’est d’ailleurs un des risques majeurs soulignés par l’Office International de l’eau et l’Office français de la biodiversité.

Sur les 81 zones de captage d’eau en Nouvelle-Aquitaine, une sélection de cinq aires réparties du nord au sud de la région met en évidence une répartition de la surface d’agriculture biologique généralement plus faible que la moyenne régionale. Ce type de culture est pourtant priorisé.

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Alexandra Langlais, chargée de recherche au CNRS et membre d’une plateforme des Nations-Unies pour l’environnement, tempère cette vision. Une présence du bio n’implique pas automatiquement une absence totale de pesticides ou autres éléments chimiques. “L’agriculture biologique n’est pas la panacée en matière environnementale et de biodiversité. Sur les zones de captage, les critères visent à protéger la qualité de l’eau en termes de nitrates, afin d’éviter un processus supplémentaire d’assainissement de l’eau.” Avec le risque pour certaines exploitations de perdre un label en raison des cultures voisines. “La question est aussi de savoir si la parcelle bio est à proximité de parcelles traitées avec des pesticides car elle peut perdre son label, sa parcelle va être dépréciée.”

Luca Campisi, Théo Putavy et Tom Masson