Les oubliées de la formation professionnelle

© Mayalen Labéguerie

Invisibles des établissements pénitentiaires, et isolées dans des quartiers qui leur sont dédiés, les femmes détenues sont hébergées dans sept prisons « mixtes » des 19 établissements de Nouvelle Aquitaine, majoritairement peuplées d’hommes. Avec un effectif de 145 sur 5 383 détenus, soit 2,7 % de la population carcérale en 2020, la formation professionnelle reste compliquée d’accès pour elles. 

Les contacts avec le sexe opposé sont proscrits : c’est pourquoi les femmes détenues sont mises à l’écart, et ne sont surveillées que par d’autres femmes. Cette séparation stricte limite leur « accès au travail, aux activités sportives et socioculturelles, au soin, ainsi qu’à la formation », relève en 2020 l’Observatoire International des Prisons (OIP). L’accès à la formation professionnelle est pourtant essentiel au sein des établissements pénitentiaires, elle représente un enjeu de réinsertion, passée la peine de détention. En Nouvelle Aquitaine, sur les 829 détenus formés en 2020, seulement 5 % sont des femmes. 

Certes, elles sont minoritaires dans les centres de détention, ce qui explique aussi ce faible taux, mais dans certaines prisons, l’offre de formation est très limitée, voire nulle. Un rapport du contrôleur général des lieux de privation de liberté (CGLPL) de 2017 déplore l’absence de formation pour les 17 femmes de la maison d’arrêt d’Agen, alors même qu’elles disposent d’une salle de formation dans leur quartier. Au début supprimée pour initier la transition vers les formations mixtes dans les quartiers des hommes, elle n’avait pas été renouvelée ensuite. 

Les prémices de la formation mixte 

Pour l’Administration Pénitentiaire, la formation en mixité est apparue comme une solution pour résoudre ces inégalités d’accès à la formation. D’abord strictement séparés par soucis de mœurs, la loi dite pénitentiaire du 24 novembre 2009 rend possible la réunion d’hommes et de femmes détenus dans le cadre d’activités, notamment pour promouvoir l’égalité d’accès à la formation professionnelle. 

Emmanuel Giraud, secrétaire interrégional Force Ouvrière (FO), reconnaît que la mixité en prison, est en fait, une « grande évolution ». Le bon élève de la Nouvelle Aquitaine est le centre pénitentiaire Bordeaux/Gradignan, qui propose une formation mixte « métiers de la mode ». Cette formation, offrant à son terme l’obtention d’un certificat d’aptitude professionnelle (CAP), réunit en 2019 près de 31 personnes, selon le rapport du CGLPL. Un stage en entreprise est ensuite organisé au sein de l’atelier « MB couture ».

La formation mixte reste tout de même limitée et laissée à l’appréciation de la direction de chaque prison. À Agen, par exemple, l’élaboration de formation mixte a été abandonnée. La maison d’arrêt a dû refuser les candidatures de certaines personnes détenues, « jugées incapables de participer à des formations mixtes ». Par ailleurs, la mise en place de ces formations mixtes est rendue impossible en l’absence d’une surveillance (physique et vidéo) à l’atelier du quartier des hommes. « L’atelier n’est actuellement pas utilisable pour les formations mixtes », souligne le rapport du CGLPL. Cette salle de formation demeure désormais exclusive à la formation « Peinture » pour les détenus hommes. 

Crédit : Raphaël Lardeur

Catherine Veyssy, vice-présidente à la région en charge de la formation professionnelle et de l’emploi, impliquée dans le dossier formation des détenus depuis 2008, soulève la complexité de la mise en place des groupes mixtes dans les prisons hébergeant hommes et femmes : « C’est peut être encore plus ardu en milieu carcéral, mais ça tient à l’équilibre et à la constitution du groupe ». Effectivement, les groupes évoluent en fonction des transferts, nouveaux arrivants, et sortants, à la différence des milieux ouverts où le groupe reste le même. 

C’est pourquoi l’accès à la formation est facilité lorsque détenus hommes et détenues femmes sont séparés : chaque groupe suivant une formation qui lui est dédiée. Des efforts avaient été encouragés dans ce sens, notamment à l’occasion de l’expérimentation qu’avait menée l’ancienne région Aquitaine en 2008. Par exemple, la maison d’arrêt de Pau, considérée comme un site pilote par le Conseil régional depuis 2011, avait développé un atelier de tissage dédié aux femmes, géré par l’association d’insertion « ACT 3 ». Certains modèles sont intégrés au catalogue de l’association et ensuite commercialisés. Certaines femmes stagiaires, à leur sortie, peuvent être embauchées pour deux ans par « ACT 3 ». Seulement l’initiative s’essouffle et disparaît, comme le rappelle le rapport du CGLPL de 2012 : le tissage n’est pas une activité courante dans la région paloise, et au bout de ces deux ans, une nouvelle reconversion s’avère nécessaire pour ces femmes. 

Le manque de diversité de formations dédiées aux femmes

Malgré l’existence de formations dédiées aux femmes dans certaines prisons de Nouvelle Aquitaine, le rapport 2019 du CGLPL soulève tout de même le peu de diversification de ces formations qui leur sont proposées. C’est le cas de la maison d’arrêt d’Angoulême. Un atelier de formation professionnelle aidant à la recherche d’emploi est proposé aux quartiers des femmes. Seulement le rapport du CGLPL de 2019 remarque que cette offre de formation n’a pas connu le succès escompté : les huit places ouvertes n’ont jamais été occupées dans leur ensemble par les femmes détenues. Une autre formation commerciale leur a été proposée. De leur côté, les détenus hommes ont pu profiter d’une formation de plaquiste, d’agent de propreté et d’hygiène, et d’agent restaurateur. 

On retrouve également ce manque de diversité dans les formations proposées au centre pénitentiaire de Bordeaux/Gradignan. Si l’établissement propose une formation mixte « métiers de la mode », elle n’en propose qu’une seule autre aux femmes détenues, celle de « découverte et diversification des métiers ». Les femmes rencontrées par le contrôleur général des lieux de privation de liberté en 2019 « déplorent qu’à ces deux exceptions près, aucune autre formation, d’un spectre professionnel plus élargi, ne leur soient proposées ». Effectivement, dans les quartiers des hommes détenus, cinq formations leur sont proposées : agent de restauration, agent magasinier, agent de propreté et d’hygiène, peintre en bâtiment, et découverte des métiers. 

En réponse à la recommandation du contrôleur général des lieux de privations de liberté de 2019, le directeur du centre pénitentiaire a déclaré dans le rapport assurer une seconde formation mixte, en ouvrant la formation de « cuisinier » d’abord dédiée aux hommes et aux femmes détenus. Une nouvelle formation « d’agent propreté et hygiène » (APH) dédiée aux femmes détenues a également depuis été mise en œuvre. 

Philippine Thibaudault